LA QUETE D’UNE IDENTITE CHEZ MALIKA MOKEDDEM. (Une revendication de différence et de ressemblance).
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LA QUETE D’UNE IDENTITE CHEZ MALIKA MOKEDDEM. (Une revendication de différence et de ressemblance).
LA QUETE D’UNE IDENTITE CHEZ MALIKA MOKEDDEM.
(Une revendication de différence et de ressemblance).
Khaldia Belkheir
Doctorante, Université de Bechar
Résumé: Les années 80 ont marqué l’émergence de nouvelles écrivaines, en l’occurrence Malika MOKEDDEM, qui crient, à travers leurs personnages féminins, leur suffocation dans une société ancestrale alourdie par le poids des chaînes sociales qui minimisent le statut de la femme.
Dépassant le cadre de la guerre d’indépendance, la condition de la femme devient la particularité de son discours agressif qui s’accompagne d’une remise en cause de l’écriture elle-même qui s'identifie avec la récupération de la mémoire personnelle et collective. Ses ouvrages, qui racontent des histoires de femmes, dans un monde d'hommes, s’appuient sur un caractère fortement autobiographique.
Mots clés: l’identité, l’espace de l’écriture, la condition de la femme, la quête d’un « je » unique,l’autobiographie dissimulée, identité plurielle
Abstract: The eighties of the last century were characterized by the emergence of a set of female writers. Malika MOKEDDEM is one of those writers who annouce, through their female personalities, their suffocation in an ancestral society full of chains which understimate the women.
Skipping the topic of the independence war, Malika MOKEDDEM evokes the topics of the women’s conditions through adopting an aggressive stylistic discourse that question the process of writing in itself and shapes the identity of this latter through the retrieval of the social and individual memory. Her works which narrate women’s stories in patriarchal worlds take into considerartion the form of biographies.
Key words: identity, the space of writing, the status of women, the quest of a unique "I", hidden autobiography, plural identity.
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ملخص :عرفت الثمانينيات من القرن الماضي ظهور كاتبات جديدات، تعد مليكة مقدم واحدة من هؤلاء اللاتي يصرخن ، عبر شخصياتهن النسائية، اختناقهن في مجتمع سلفي مثقل بالقيود الاجتماعية التي تحقر المرأة، متخطية إطار موضوع حرب الاستقلال أصبح موضوع ظروف المرأة الخاصية المميزة لأسلوب مليكة مقدم الخطابي العدواني والذي يشكك في الكتابة بحد ذاتها وتتجسد هوية هذه الكتابة في استرجاع الذاكرة الفردية والجماعية. أعمالها، التي تحكي قصص نسوة في عالم رجال، تتخذ وبشدة طابع السيرة الذاتية.
الكلمات المفاتيح: الهوية - فضاء الكتابة – وضعية المرأة – البحث عن الذات المتميزة- سيرة ذاتية مسقطة - هوية مركبة
L’objectif général de cet article étant de savoir s’il y a respect de la part de l’auteure des spécificités de son discours que nous avons démontré dans un premier travail (Belkheir, 2005) à savoir : la revendication de l’appartenance de ses personnages à un espace (le désert),terre de leurs ancêtres, et un temps (le passé), groupant l’enfance et la jeunesse, il nous a paru évident de décrire, en premier lieu, le parcours narratif, qu’elle fait emprunter, par l’écriture, à ses personnages- féminins, en quête d’une identité.
Les romans de Malika MOKEDDEM1 se présentent comme tout récit, sous forme d’une quête d’un objet par un sujet. Les obstacles, inévitables dans toute quête, font surgir les opposants que le sujet affronte avec l’aide d’adjuvants. La quête a une origine ou motivation, le destinateur, et une finalité ou destinataire (bénéficiaire) qui, outre le sujet, peut concerner d’autres personnes (Jouve, 2001 : 52).
Si nous envisageons de mettre à profit une lecture en filigrane des romans de cette écrivaine, nous devons, d’abord, prendre connaissance des actions telles qu’elles se présentent à nous, explicitement, par le récit, au niveau de la première lecture.
Pour cela nous nous sommes posée les questions suivantes: quel est ce manque initial qui déclenche la quête et que le personnage principal se charge de combler? Quelles sont les stations- significatives qui ont jalonné son parcours? Avait –il conscience, dès le départ de ce manque? De quelle nature était-il? Peut-on parler d’un manque-type commun à tous ces romans? Le personnage principal parvient-il à l’aboutissement de sa quête? Laquelle? En cas d’échec, quelles sont les entraves - matérielles ou morales- qui ont empêché la réalisation de ce qu’il avait entrepris ?
A partir de ce questionnement, nous avançons l’hypothèse que le parcours des personnages principaux, notamment les personnages- féminins chez Malika MOKEDDEM est presque identique2: ces femmes sont en quête de leur identité, à la recherche d’un « je » de femme qui se distingue des autres femmes.
Se sentant opprimées par et dans un espace masculin, elles revendiquent le droit d’être une personne à part entière parallèlement à la remise en cause des tabous et des visions étriquées et réductrices de la femme.
Ceci dit, les protagonistes que M. MOKEDDEM met en scène, dans ses romans, sont des personnages-féminins. Nous les qualifions, de prime abord, d’« héroïnes », pour deux raisons dont la première est la distinction de ces personnages dans la foule des êtres ordinaires par les épreuves difficiles qu’elles subissent sur leur parcours et dont elles triomphent.
La deuxième consiste en leur pouvoir d’incarnation de l’aspiration du lecteur/lectrice à tendre vers un idéal qui est celui de s’évader au delà des limites d’une vie monotone pour atteindre sa magnificence. A ce sujet, elle certifie:
« Je reçois des lettres de lectrices algériennes. Qu’elles vivent en Algérie ou en exil, elles me disent qu’elles se reconnaissent complètement en Leila, Sultana, Kenza, héroïnes de mes romans. Toutes celles qui ont eu à lutter contre l’enfermement de nos traditions, pour faire des études, pour pouvoir travailler, ont arraché leur liberté au prix fort. Nous avons toutes des parcours similaires, à des variantes près.» (Chaulet-Achour, 1999 :183).
Ils représentent un intérêt particulier pour la narratrice puisqu’ils sont les porte- paroles de celle-ci exprimant ainsi, sa vision du monde, son idéologie, ses désirs…
Ce qui nous parait évident, est que les frontières entre l’autobiographie et la fiction ne sont pas très nettes3 au point de confondre le personnage du roman- être de papier-avec la personne en chair et en os qu’est la romancière. Ceci n’empêche que lorsque nous pensons parler de la première, nous nous trouvons en train de discourir sur la deuxième.
Certains critiques littéraires comme Charles Bonn, Dominique Maingueneau, Mikhaïl Bakhtine et bien d’autres ont déjà mis l’accent sur cette sorte d’autobiographie «dissimulée derrière une multiplication de « je» chez les écrivaines maghrébines :
« L’hésitation entre le roman ou le journal ou l’autobiographie peut être lue comme une manifestation d’un scandale dans la civilisation arabe que constituent, à la fois le genre romanesque et le dévoilement de l’intimité de la personne » (Bonn, 1985 :176) dira, Charles Bonn.
Cette démultiplication du « je » va permettre à la narratrice de «se dire » sans se soumettre à un genre bien déterminé, en l’occurrence, l’autobiographie, car si le fait d’écrire pour une femme est transgresser les lois imposées par la communauté, raconter directement sa vie serait «se mettre à nue » en public.
Il semble donc que le choix de la narratrice a été porté sur la manière la plus aisée qui est celle de ne pas s’exhiber, mais d’aller au delà de la confession individuelle pour accéder à l’universel.
Au sujet de cette distance que met l’écrivain entre les événements réels de sa propre vie et de ceux vécus par son personnage, Dominique Maingueneau atteste que:
«Ce concept permet d’envisager le procès d’énonciation du point de vue de l’attitude face à son énoncé: le procès sera décrit comme une distance relative que le sujet met entre son énoncé et lui-même. Si cette distance tend vers zéro, le sujet prend totalement en charge l’énoncé, le «je »de l’énoncé et le« je »de l’énonciation s’identifient parfaitement. A l’inverse, si la distance est maximale, c’est que le sujet considère son énoncé «comme partie d’un monde distinct de lui-même» (Maingueneau, 1976:119).
Ce principe est, pour Mikhaïl Bakhtine, le propre du roman:
« Le roman a pour singularité de faire éclater tout discours univoque; non seulement l’auteur ne parle pas «en son nom propre», mais il fait jouer entre eux les différents discours. L’énonciation romanesque est donc foncièrement plurielle. Les personnages introduisent dans le texte du roman des voix multiples; cette stratification des voix contribue de manière décisive au plurilinguisme. La polyphonie est la caractéristique de tout discours romanesque ». (Piegay-Gros, 1996:26)
Cette attestation, incontestable, nous permet de dire que Malika MOKEDDEM est productrice de discours littéraire - en tant que femme - et fait de la femme l’objet central de ses romans. Une femme, dont les éloges brillants qu’elle lui attribue, la font passer du stéréotype connu, celui du modèle simpliste et réducteur à celui de personnage considéré dans toute sa magnificence et son héroïsme.
Dans une interview accordée à El Watan, journal algérien, elle répond à la question de savoir si elle se perçoit comme une porte - parole des femmes, sinon des algériennes, en disant: « Je participe à battre en brèche les amalgames et les jugements simplistes véhiculés de par le monde à leur encontre. Ca, c’est certain. Alors comment pourrais-je, moi aussi, considérer que les Algériennes représentent un groupe monolithique? Elles sont merveilleusement diverses. Et je ne serai jamais porte-parole. Je suis écrivain. » (Lebdaï, 2007).
Mais faisant partie de la troisième génération d’écrivains et établie en France, elle vit le tiraillement entre deux espaces à tous les niveaux.
Seulement, l’espace du double ne va pas se limiter uniquement à la narratrice chez qui, l’esprit de dualité était déjà né à l’école où :
« Les textes de dictées et des lectures n’évoquaient jamais que la France. Même les sujets des cours de dessin n’avaient que la France pour modèle […].Mais sa maison arabe, ses palmiers lancés vers le ciel, sa dune aux formes voluptueuses, l’incendie des couchants? Tout cela, personne ne demandait à Leila de l’illustrer. Cette autre vie n’avait droit qu’au silence. Une dualité naissait déjà en elle avec ses joies aigres-douces et ses écartèlements »
(MOKEDDEM, 1990 : 159), nous dit la romancière au sujet de sa première héroïne.
Cela nous permet d’ores et déjà, d’avancer que deux aspects essentiels se partagent l’espace textuel: l’autobiographie et la création mais qui se déploient pour toucher d’autres domaines tels que l’espace, le temps, les personnages, les sentiments…
Précisons qu’il est question dans l’univers romanesque de cette écrivaine de l’usage du double et non pas - du duel - car c’est l’idée de complémentarité, de rencontre, de richesse qui est valorisée par cette dualité et non celle d’adversité, d’opposition et d’exclusion.
Le double aspect de la quête
Après la lecture de l’œuvre de Malika MOKEDDEM, nous nous sommes aperçue que, l’entourage familial, la société, les événements historiques qu’elle relate dans ses romans, constituent la matière première de ses écrits, une sorte de « prétexte », sans lequel, probablement, son œuvre n’aurait pas su prendre forme.
De cette façon, la société de l’œuvre littéraire de cette romancière, restera une sorte de gros plan de sa société réelle.
Origine de la quête de l’identité: Le sentiment d’injustice
a – Injustice du père
Le parcours narratif de l’héroïne, qui fait écho avec celui de la romancière, commence le jour de sa venue au monde.
Les parents ne manifestent aucune joie pour cette venue nocturne4 d’une fille: ils auraient voulu voir un garçon à sa place. Donc, sa naissance sera très mal accueillie.
Dans une interview avec Najib Radouane et Yvette Bénayoun- Szmidt, elle dira de cet avènement qui d’ordinaire, apporte de la joie: «Quand je suis venue au monde, ce fut le drame parce qu’ils attendaient tous un garçon ». (Benayoun-Szmidt, 2003 : 275)
De la naissance du premier garçon alors que cette dernière n’avait que quatre ans, elle en gardera un souvenir indélébile car c’est ce jour-là qu’elle a perçu nettement, la préférence de ses parents pour les garçons.
Donc, étant déjà, d’esprit cabré de nature, la protagoniste perçoit, dans les faveurs excessives accordées à cette descendance masculine, tant attendue par les parents, afin de parfaire leur bonheur, toute l’injustice.
Les confidences faites à Christiane Chaulet-Achour, par l’auteure viennent confirmer cette l’hypothèse avancée : « Aînée d’une nombreuse fratrie, j’ai très tôt pris conscience de la préférence de mes parents pour les garçons. Secrètement cette injustice me mortifiait, me minait… » (Chaulet-Achour, 1999 :174).
Le père ne manquait pas une occasion pour lui rappeler le sort féminin commun auquel elle est vouée. Devant sa brillance en tant qu’écolière, il ne manifeste aucune attention, ce qui provoque la déception de la petite fille. Qu’elle soit douée pour les études n’était, pour lui, qu’un faire-valoir aux yeux des colons. Il était, donc, normal, pour elle, qu’il la vole, qu’il trahisse sa confiance et qu’il lui mente. En pervertissant ses joies enfantines, le père voulait: « lamine, d’une façon systématique, les reliefs de son caractère.» (MOKEDDEM, 1990 : 12), nous apprend la narratrice.
Un autre événement considéré comme un coup de tonnerre, marquera, d’une façon définitive, sa vie: c’est le jour où elle découvrit sa tirelire éventrée et vide: son contenu avait servi à acheter une bicyclette pour son frère. Sachant que son père était à l’origine de cette « infamie », elle lui en voudra à vie.
Ne pouvant pas contenir sa colère, elle s’adresse à lui en ces phrases : « Tu n’es plus mon père ; Je t’ai fait confiance et tu m’as trahie. Je te hais! Tu n’aurais jamais fait ça à l’un de tes fils, je le sais et je te hais encore plus pour ça ! » (MOKEDDEM, 1990 : 143).
Du rapprochement fait entre les deux parcours, celui de l’héroïne et celui de l’écrivaine, il en résulte que cette exaspération, ressentie aussi dans la réalité par la romancière, devient, désormais, un trait de caractère et un signe distinctif du père:
« Je me disais toujours, il est injuste. Pourquoi donc préférait-il les garçons ? Et cette colère que j’ai éprouvée est le premier signe de mon tempérament, de ce refus de l’injustice. A ce moment-là, c’était juste cette sensation qui était ancrée en moi. » (Younsi, 2006).
En conséquence, elle va vivre une situation de déstabilisation qui sera à l’origine d’un état de guerre constant avec son père parce que représentant de traditions rigides, difficilement assimilables.
b - Désaffection de la mère
La mère, non plus, ne jouit d’aucune brillance chez sa fille. Elle ne sort pas du commun et donc, ne représente pas le modèle tant désiré par la fille pour plusieurs raisons :
« La mère de mes fils »: c’est ainsi qu’est nommée, la mère, par le père, étant donné que depuis la naissance de la deuxième fille, elle n’a eu que des garçons. C’est la juste distance dans la relation qu’il peut avoir vis-à-vis de sa
Une mère devenue anonyme, sans nom, mais dont le ventre boursoufflé reste sa référence, prenait, celles qui n’avaient pas eu de descendance masculine, pour de « pauvres femmes à filles», et les considérait avec arrogance.
En effet, dans une société, d’apparence patriarcale, le dernier mot revient à la femme en tant que mère : «être femme, c’est posséder un fils », confirme Camille Lacoste Dujardin. (Lacoste Dujardin, 1985 : 267)
Espace de l’enfance où la petite fille, dans le premier roman, est censée être entourée d’affection et de tendresse de la part des parents et particulièrement de la mère, elle ne recevait de cette dernière, qu’ordres et remontrances: «Prépare le biberon du petit! La soupe de l’autre! Prends ton frère, ne le laisse pas pleurer comme ça! Torche celui-ci! Va étendre le linge !... » (MOKEDDEM, 1990 : 115).
Pour s’affranchir de ce travail à la chaîne qui accaparait totalement la mère, et par la suite la fille, Leila se défendait en brandissant le livre contre « la donneuse d’ordres » (MOKEDDEM,1990 : 115) en se créant un espace intime.
De ce fait, Leila refuse d’être le prolongement de sa mère en réduisant sa vie à une kyrielle de tâches ménagères auxquelles sa mère est assujettie.
Un espace supposé être celui où l’enfant, en général, est appelé à faire son plein d’assurances, la petite fille, au bord de « la nausée » de tellement de frères et de sœurs5, et certaine de ne plus pouvoir récupérer le giron de sa mère, toujours rempli par un gros ventre ou occupé par un dernier-né, s’engage à faire la promesse de ne jamais ressembler à sa mère dont la vie se résume dans le passage suivant :
« Non, jamais elle ne se laisserait atteindre par l’épidémie de la boursouflure qui s’emparait des ventres. Jamais elle ne se plierait aux ménagères qui enfermaient les filles au sortir de l’enfance pour ne les lâcher qu’au seuil de la mort » (MOKEDDEM,1990 : 191).
En réaction contre le comportement de ses parents, la petite fille adopte une sorte de « loi du Talion » vis-à-vis d’eux, à la suite de l’offense subie. Cette attitude à caractère défensif, est marquée, surtout par la parole acerbe.
D’ailleurs, les phrases suivantes montrent bien l’anomalie des rapports qu’elle entretient avec ses parents après leur avoir déclaré la guerre: « […]. Vers qui se tourner quand les parents deviennent, sinon les premiers ennemis, du moins ceux qui peuvent, à bon droit, mettre en péril l’avenir d’une fille ? » (MOKEDDEM, 1990 : 269).
Une dépréciation des parents, est née suite à cette altération des relations entre la fille et ses parents. Le nouveau regard porté sur eux lui a permis de nourrir son égo et de maintenir son équilibre mental.
Nous constatons, donc, que, la cause inaugurale qui a sonné comme un déclic, de cette quête de l’identité est la blessure laissée par le père. C’est à partir de ce moment que la narratrice, après avoir pris conscience de la scission de la société provoquant deux compartiments, celui des hommes par opposition à celui des femmes, s’est mise à effectuer un parcours où le « je », occulté dans la collectivité essaye de faire progressivement surface, passant de la communauté traditionnelle, où les hommes jouissaient de tous les droits et où la femme n’avait aucun droit, parfois même pas celui de vivre, à la réédification d’une individualité.
Edification d’un espace subjectif : « Je » / « les autres »
Face aux injustices innombrables générées par les lois familiales et sociales, mises en vigueur dans un espace d’origine, auquel elle est censée appartenir mais qui en vérité la prive du droit le plus élémentaire, l’héroïne de Malika MOKEDDEM sera forcée de mettre en œuvre plusieurs scénarios6, pour tenter de s’affirmer et de marquer sa singularité par rapport aux autres membres de la communauté, aussi bien à l’échelle familiale que sociale, tels que la protection contre les ordres de la mère, par la lecture, l’aiguisement du caractère odieux, l’abstention à la parole et des privations de nourriture et de sommeil…
Ces moyens astucieux, considérés comme peu scrupuleux par l’entourage de la petite fille, sont des palliatifs qui vont lui permettre de se tirer, temporairement, d’une situation suffocante. Compte tenu des menaces qui pèsent sur les femmes de son entourage, l’installation de ce dispositif de protection lui a permis de créer un espace de liberté, de refuge, et enfin, de fuite.
C’est alors qu’une re-naissance d’un « JE » autre, qui selon les membres de cette société archaïque s’est imposé, à leur détriment, va se faire mais, qui ne va pas s’accomplir sans peine pour la narratrice. Bien au contraire, cette entreprise sera disséminée d’imprévus où la contribution de l’élément féminin constitue un point d’appui considérable.
Cependant, à l’intérieur de la communauté de femmes, une seule catégorie avait jouit de la faveur de l’héroïne. Seules ces élues dont, principalement, les traits de caractère les font se rassembler dans un groupe, peuvent prétendre à l’affranchissement d’une dépendance et par conséquent à un devenir.
Sur le chemin de la quête de l’émergence d’un « JE » exceptionnel et singulier de la protagoniste, donnant naissance à sa nouvelle réinsertion sociale, par le savoir et la connaissance, tous les adjuvants qui ont contribué à la réussite de cette entreprise sont des personnages-féminins : femmes emblématiques, chacune à sa manière, vivant en marge de la société, pour la plupart.
Bien qu’elles soient issues de milieux différents mais elles possèdent, toutes, en commun, un tempérament exceptionnel et un esprit libre.
Quant à l’élément masculin, la narratrice ne prend pas position contre tous les hommes. Au contraire, elle rend hommage à ceux qui lui ont portée aide et soutien moral mais reste sans égards à l’encontre de ceux qui ont été à l’origine de sa douleur.
La quête d’une identité plurielle
La question qui se pose est de savoir si les personnages privilégiés de Malika MOKEDDEM, adhèrent à cette nouvelle conception de l’identité que nous avons appelée: identité plurielle ou se proclament- ils de telle ou telle origine ? Il ya t-il une partie de leur identité qui prend le pas sur les autres?
Par un léger retour en arrière dans la vie des personnages de premier rang, et qui représentent la narratrice, nous avons constaté qu’ils ont, tous, vécu, à leur insu, cette diversité de cultures, déjà à l’aube de leur vie, soit, par la bénédiction des parents, soit à l’école ou par le biais d’autres éléments extérieurs.
L’adhésion involontaire du personnage à des cultures
C’est par le contact quotidien que, insciemment, l’adhésion de l’héroïne de Malika MOKEDDEM à une culture, différente de la sienne, s’est faite.
En effet, petite fille déjà, elle était en contact quotidien avec cette diversité de cultures qui ne pouvait qu’enrichir, sa personnalité et, par conséquent, la préparer à être différente tout en acceptant l’autre dans sa diversité.
Plusieurs phénomènes ont favorisé, donc, l’adoption de la protagoniste d’une autre culture, d’autres cultures et convergent vers d’autres perspectives, plus grandes.
La romancière a, ainsi fait franchir, à son personnage-féminin, par une moisson d’humanité, les barrières de l’enferment ethnique et national pour aller vers une culture mondiale.
Par cette disposition d’ouverture à l’universel, elle lui a fait agréer d’autres données culturelles. Située, ainsi, au carrefour des cultures, il était évident pour le personnage-féminin qu’il en soit fortement imprégné.
Enfin, le soutien opiniâtre que la romancière porte à la femme, sous forme de dénonciation de faits répréhensibles qui lui sont infligés par la famille, la société avec ses traditions et ses coutumes, atteste de sa participation à cette manifestation à l’échelle mondiale dont l’objectif est l’amélioration de la condition sociale de toutes les femmes.
Nous le voyons, au niveau de l’action, par l’écriture, que livre l’écrivaine dans toute son œuvre, contre les préjugés, les tabous qui maintiennent les femmes dans un état de privation de liberté et d’accomplissement de soi.
D’autres prises de position viennent s’ajouter à celle de son intervention en faveur des femmes.
Effectivement, la romancière affiche clairement, par le biais de certains de ses personnages sa solidarité avec les minorités opprimées dans le monde par le jugement critique qu’elle porte sur les hommes et sur les choses et le recul par rapport aux événements. Elle dira, ouvertement, dans son troisième roman, «L’interdite»: « Je n’ai jamais eu d’affection que pour les bâtards, les paumés, les tourmentés et les juifs errants comme moi. Et ceux-ci n’ont jamais eu pour patrie qu’un rêve introuvable ou tôt perdu » (MOKEDDEM, 1997 : 82).
En tant que femme de savoir, elle cherche à promouvoir les valeurs qui font de l'Homme un être à part, unique, ayant plein droit de vivre sans être mis sous séquestre de la couleur de sa peau, ni de sa religion et encore moins de son sexe.
Vivant pleinement et harmonieusement les composantes de son identité, l’héroïne de Malika MOKEDDEM glane dans chacune d’entre elles ses commodités, sans pour autant se sentir envahie par un sentiment de désarroi et d'impuissance face aux mauvais traitements infligés à l’homme, de part le monde.
Notes
1. Malika MOKEDDEM, romancière algérienne d'expression française, appartient à la nouvelle génération. Née le 05 octobre 1949 à Kénadsa , dans le sud algérien. Son cursus scolaire débute à Bechar où elle obtient son baccalauréat et se termine par une spécialité de néphrologue. Sa vie au sein de sa propre famille sera marquée par des malentendus. Le fait d'être une fille la diminue aux yeux de ses parents qui auraient préféré avoir un garçon à sa place. Ce sentiment va la marquer toute sa vie. A cela s'ajoutent, l'enfermement, la solitude, la privation de la liberté causés par le fait d'habiter le désert.
2. Au delà de l’apparente simplicité de la première quête qui provoque la dynamique du récit, les personnages poursuivent une quête d’ordre intérieur: le savoir et la connaissance qui doivent mener inévitablement à la libération.
3. La scientificité de la recherche nous oblige à rester dans les limites de la recherche scientifique qui préconise l’exclusion des éléments biographiques de l’auteure même si la vie de celle-ci est en parfaite adéquation avec celle de ses personnages.
4. Par la technique d’une mise en abîme, la narratrice nous raconte les circonstances qui ont entourées sa naissance, mais elle met cet événement en scène pour faire apparaitre certains éléments à valeur symbolique tels que sa venue au monde de nuit, d’où son prénom «Leila » qui signifie « nuit ».
5. A ce propos la narratrice nous dit: «Cadenas et autres gris-gris n’avaient pas empêcher Yamina ( la mère de Leila) d’avoir douze grossesses et treize enfants.
6. Parmi ces scénarios inventés, le simulacre de la folie est aussi une ingéniosité qui témoigne d’une habileté de son esprit qui va s’ajouter aux autres planifications, menées avec dextérité, afin de parvenir à un objectif fixé à l’avance. La petite fille jubilait discrètement à «cultiver cette folie-là. » nous dit la narratrice (MOKEDDEM, 1990 : 141).
Bibliographie
Belkheir, K. 2005. « Le discours de l’espace et du temps dans le Siècle des Sauterelles », mémoire de magistère, Université de Bechar.
Benayoun-Szmidt, Y. 2003.« Genèse d’une œuvre ». In: autour des écrivains maghrébins. Paris: L’Harmattan.
Bonn, C. 1985. Le roman algérien de langue française, vers un espace de communication de communication décolonisé .Paris : L’HARMATTAN.
Chaulet-Achour, C. 1999. Noûn. Algériennes dans l’écriture. Paris : Seguier.
Chaulet-Achour, C. 2002. Clefs pour la lecture des récits -Convergences critiques II. Blida –Algerie : du Tell.
Jouve, V. 2001. La poétique du roman. Paris : Armand Colin, Coll. Campus.
Lacoste-dujardin, C. 1985. Des mères contre des femmes. Maternité et patriarcat au Maghreb. Paris : La découverte.
Lebdaï, B. 2007, « le « je » n’est ni féminin, ni masculin ». Article In El Watan N°du1er février.
Maingueneau, D. 1976 .Initiation aux méthodes de l’analyse du discours- problèmes et perspectives. Paris : HACHETTE.
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MOKEDDEM, M. 1992.Le Siècle des Sauterelles. Paris: Ramsay.
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Reuter, Y. 2000. L'analyse du récit. Paris : Nathan.
Younsi,Y. 2006. L’Etat algérien m’a censurée. Article In Le Soir d’Algérie N° du 12 septembre.
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(Une revendication de différence et de ressemblance).
Khaldia Belkheir
Doctorante, Université de Bechar
Résumé: Les années 80 ont marqué l’émergence de nouvelles écrivaines, en l’occurrence Malika MOKEDDEM, qui crient, à travers leurs personnages féminins, leur suffocation dans une société ancestrale alourdie par le poids des chaînes sociales qui minimisent le statut de la femme.
Dépassant le cadre de la guerre d’indépendance, la condition de la femme devient la particularité de son discours agressif qui s’accompagne d’une remise en cause de l’écriture elle-même qui s'identifie avec la récupération de la mémoire personnelle et collective. Ses ouvrages, qui racontent des histoires de femmes, dans un monde d'hommes, s’appuient sur un caractère fortement autobiographique.
Mots clés: l’identité, l’espace de l’écriture, la condition de la femme, la quête d’un « je » unique,l’autobiographie dissimulée, identité plurielle
Abstract: The eighties of the last century were characterized by the emergence of a set of female writers. Malika MOKEDDEM is one of those writers who annouce, through their female personalities, their suffocation in an ancestral society full of chains which understimate the women.
Skipping the topic of the independence war, Malika MOKEDDEM evokes the topics of the women’s conditions through adopting an aggressive stylistic discourse that question the process of writing in itself and shapes the identity of this latter through the retrieval of the social and individual memory. Her works which narrate women’s stories in patriarchal worlds take into considerartion the form of biographies.
Key words: identity, the space of writing, the status of women, the quest of a unique "I", hidden autobiography, plural identity.
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ملخص :عرفت الثمانينيات من القرن الماضي ظهور كاتبات جديدات، تعد مليكة مقدم واحدة من هؤلاء اللاتي يصرخن ، عبر شخصياتهن النسائية، اختناقهن في مجتمع سلفي مثقل بالقيود الاجتماعية التي تحقر المرأة، متخطية إطار موضوع حرب الاستقلال أصبح موضوع ظروف المرأة الخاصية المميزة لأسلوب مليكة مقدم الخطابي العدواني والذي يشكك في الكتابة بحد ذاتها وتتجسد هوية هذه الكتابة في استرجاع الذاكرة الفردية والجماعية. أعمالها، التي تحكي قصص نسوة في عالم رجال، تتخذ وبشدة طابع السيرة الذاتية.
الكلمات المفاتيح: الهوية - فضاء الكتابة – وضعية المرأة – البحث عن الذات المتميزة- سيرة ذاتية مسقطة - هوية مركبة
L’objectif général de cet article étant de savoir s’il y a respect de la part de l’auteure des spécificités de son discours que nous avons démontré dans un premier travail (Belkheir, 2005) à savoir : la revendication de l’appartenance de ses personnages à un espace (le désert),terre de leurs ancêtres, et un temps (le passé), groupant l’enfance et la jeunesse, il nous a paru évident de décrire, en premier lieu, le parcours narratif, qu’elle fait emprunter, par l’écriture, à ses personnages- féminins, en quête d’une identité.
Les romans de Malika MOKEDDEM1 se présentent comme tout récit, sous forme d’une quête d’un objet par un sujet. Les obstacles, inévitables dans toute quête, font surgir les opposants que le sujet affronte avec l’aide d’adjuvants. La quête a une origine ou motivation, le destinateur, et une finalité ou destinataire (bénéficiaire) qui, outre le sujet, peut concerner d’autres personnes (Jouve, 2001 : 52).
Si nous envisageons de mettre à profit une lecture en filigrane des romans de cette écrivaine, nous devons, d’abord, prendre connaissance des actions telles qu’elles se présentent à nous, explicitement, par le récit, au niveau de la première lecture.
Pour cela nous nous sommes posée les questions suivantes: quel est ce manque initial qui déclenche la quête et que le personnage principal se charge de combler? Quelles sont les stations- significatives qui ont jalonné son parcours? Avait –il conscience, dès le départ de ce manque? De quelle nature était-il? Peut-on parler d’un manque-type commun à tous ces romans? Le personnage principal parvient-il à l’aboutissement de sa quête? Laquelle? En cas d’échec, quelles sont les entraves - matérielles ou morales- qui ont empêché la réalisation de ce qu’il avait entrepris ?
A partir de ce questionnement, nous avançons l’hypothèse que le parcours des personnages principaux, notamment les personnages- féminins chez Malika MOKEDDEM est presque identique2: ces femmes sont en quête de leur identité, à la recherche d’un « je » de femme qui se distingue des autres femmes.
Se sentant opprimées par et dans un espace masculin, elles revendiquent le droit d’être une personne à part entière parallèlement à la remise en cause des tabous et des visions étriquées et réductrices de la femme.
Ceci dit, les protagonistes que M. MOKEDDEM met en scène, dans ses romans, sont des personnages-féminins. Nous les qualifions, de prime abord, d’« héroïnes », pour deux raisons dont la première est la distinction de ces personnages dans la foule des êtres ordinaires par les épreuves difficiles qu’elles subissent sur leur parcours et dont elles triomphent.
La deuxième consiste en leur pouvoir d’incarnation de l’aspiration du lecteur/lectrice à tendre vers un idéal qui est celui de s’évader au delà des limites d’une vie monotone pour atteindre sa magnificence. A ce sujet, elle certifie:
« Je reçois des lettres de lectrices algériennes. Qu’elles vivent en Algérie ou en exil, elles me disent qu’elles se reconnaissent complètement en Leila, Sultana, Kenza, héroïnes de mes romans. Toutes celles qui ont eu à lutter contre l’enfermement de nos traditions, pour faire des études, pour pouvoir travailler, ont arraché leur liberté au prix fort. Nous avons toutes des parcours similaires, à des variantes près.» (Chaulet-Achour, 1999 :183).
Ils représentent un intérêt particulier pour la narratrice puisqu’ils sont les porte- paroles de celle-ci exprimant ainsi, sa vision du monde, son idéologie, ses désirs…
Ce qui nous parait évident, est que les frontières entre l’autobiographie et la fiction ne sont pas très nettes3 au point de confondre le personnage du roman- être de papier-avec la personne en chair et en os qu’est la romancière. Ceci n’empêche que lorsque nous pensons parler de la première, nous nous trouvons en train de discourir sur la deuxième.
Certains critiques littéraires comme Charles Bonn, Dominique Maingueneau, Mikhaïl Bakhtine et bien d’autres ont déjà mis l’accent sur cette sorte d’autobiographie «dissimulée derrière une multiplication de « je» chez les écrivaines maghrébines :
« L’hésitation entre le roman ou le journal ou l’autobiographie peut être lue comme une manifestation d’un scandale dans la civilisation arabe que constituent, à la fois le genre romanesque et le dévoilement de l’intimité de la personne » (Bonn, 1985 :176) dira, Charles Bonn.
Cette démultiplication du « je » va permettre à la narratrice de «se dire » sans se soumettre à un genre bien déterminé, en l’occurrence, l’autobiographie, car si le fait d’écrire pour une femme est transgresser les lois imposées par la communauté, raconter directement sa vie serait «se mettre à nue » en public.
Il semble donc que le choix de la narratrice a été porté sur la manière la plus aisée qui est celle de ne pas s’exhiber, mais d’aller au delà de la confession individuelle pour accéder à l’universel.
Au sujet de cette distance que met l’écrivain entre les événements réels de sa propre vie et de ceux vécus par son personnage, Dominique Maingueneau atteste que:
«Ce concept permet d’envisager le procès d’énonciation du point de vue de l’attitude face à son énoncé: le procès sera décrit comme une distance relative que le sujet met entre son énoncé et lui-même. Si cette distance tend vers zéro, le sujet prend totalement en charge l’énoncé, le «je »de l’énoncé et le« je »de l’énonciation s’identifient parfaitement. A l’inverse, si la distance est maximale, c’est que le sujet considère son énoncé «comme partie d’un monde distinct de lui-même» (Maingueneau, 1976:119).
Ce principe est, pour Mikhaïl Bakhtine, le propre du roman:
« Le roman a pour singularité de faire éclater tout discours univoque; non seulement l’auteur ne parle pas «en son nom propre», mais il fait jouer entre eux les différents discours. L’énonciation romanesque est donc foncièrement plurielle. Les personnages introduisent dans le texte du roman des voix multiples; cette stratification des voix contribue de manière décisive au plurilinguisme. La polyphonie est la caractéristique de tout discours romanesque ». (Piegay-Gros, 1996:26)
Cette attestation, incontestable, nous permet de dire que Malika MOKEDDEM est productrice de discours littéraire - en tant que femme - et fait de la femme l’objet central de ses romans. Une femme, dont les éloges brillants qu’elle lui attribue, la font passer du stéréotype connu, celui du modèle simpliste et réducteur à celui de personnage considéré dans toute sa magnificence et son héroïsme.
Dans une interview accordée à El Watan, journal algérien, elle répond à la question de savoir si elle se perçoit comme une porte - parole des femmes, sinon des algériennes, en disant: « Je participe à battre en brèche les amalgames et les jugements simplistes véhiculés de par le monde à leur encontre. Ca, c’est certain. Alors comment pourrais-je, moi aussi, considérer que les Algériennes représentent un groupe monolithique? Elles sont merveilleusement diverses. Et je ne serai jamais porte-parole. Je suis écrivain. » (Lebdaï, 2007).
Mais faisant partie de la troisième génération d’écrivains et établie en France, elle vit le tiraillement entre deux espaces à tous les niveaux.
Seulement, l’espace du double ne va pas se limiter uniquement à la narratrice chez qui, l’esprit de dualité était déjà né à l’école où :
« Les textes de dictées et des lectures n’évoquaient jamais que la France. Même les sujets des cours de dessin n’avaient que la France pour modèle […].Mais sa maison arabe, ses palmiers lancés vers le ciel, sa dune aux formes voluptueuses, l’incendie des couchants? Tout cela, personne ne demandait à Leila de l’illustrer. Cette autre vie n’avait droit qu’au silence. Une dualité naissait déjà en elle avec ses joies aigres-douces et ses écartèlements »
(MOKEDDEM, 1990 : 159), nous dit la romancière au sujet de sa première héroïne.
Cela nous permet d’ores et déjà, d’avancer que deux aspects essentiels se partagent l’espace textuel: l’autobiographie et la création mais qui se déploient pour toucher d’autres domaines tels que l’espace, le temps, les personnages, les sentiments…
Précisons qu’il est question dans l’univers romanesque de cette écrivaine de l’usage du double et non pas - du duel - car c’est l’idée de complémentarité, de rencontre, de richesse qui est valorisée par cette dualité et non celle d’adversité, d’opposition et d’exclusion.
Le double aspect de la quête
Après la lecture de l’œuvre de Malika MOKEDDEM, nous nous sommes aperçue que, l’entourage familial, la société, les événements historiques qu’elle relate dans ses romans, constituent la matière première de ses écrits, une sorte de « prétexte », sans lequel, probablement, son œuvre n’aurait pas su prendre forme.
De cette façon, la société de l’œuvre littéraire de cette romancière, restera une sorte de gros plan de sa société réelle.
Origine de la quête de l’identité: Le sentiment d’injustice
a – Injustice du père
Le parcours narratif de l’héroïne, qui fait écho avec celui de la romancière, commence le jour de sa venue au monde.
Les parents ne manifestent aucune joie pour cette venue nocturne4 d’une fille: ils auraient voulu voir un garçon à sa place. Donc, sa naissance sera très mal accueillie.
Dans une interview avec Najib Radouane et Yvette Bénayoun- Szmidt, elle dira de cet avènement qui d’ordinaire, apporte de la joie: «Quand je suis venue au monde, ce fut le drame parce qu’ils attendaient tous un garçon ». (Benayoun-Szmidt, 2003 : 275)
De la naissance du premier garçon alors que cette dernière n’avait que quatre ans, elle en gardera un souvenir indélébile car c’est ce jour-là qu’elle a perçu nettement, la préférence de ses parents pour les garçons.
Donc, étant déjà, d’esprit cabré de nature, la protagoniste perçoit, dans les faveurs excessives accordées à cette descendance masculine, tant attendue par les parents, afin de parfaire leur bonheur, toute l’injustice.
Les confidences faites à Christiane Chaulet-Achour, par l’auteure viennent confirmer cette l’hypothèse avancée : « Aînée d’une nombreuse fratrie, j’ai très tôt pris conscience de la préférence de mes parents pour les garçons. Secrètement cette injustice me mortifiait, me minait… » (Chaulet-Achour, 1999 :174).
Le père ne manquait pas une occasion pour lui rappeler le sort féminin commun auquel elle est vouée. Devant sa brillance en tant qu’écolière, il ne manifeste aucune attention, ce qui provoque la déception de la petite fille. Qu’elle soit douée pour les études n’était, pour lui, qu’un faire-valoir aux yeux des colons. Il était, donc, normal, pour elle, qu’il la vole, qu’il trahisse sa confiance et qu’il lui mente. En pervertissant ses joies enfantines, le père voulait: « lamine, d’une façon systématique, les reliefs de son caractère.» (MOKEDDEM, 1990 : 12), nous apprend la narratrice.
Un autre événement considéré comme un coup de tonnerre, marquera, d’une façon définitive, sa vie: c’est le jour où elle découvrit sa tirelire éventrée et vide: son contenu avait servi à acheter une bicyclette pour son frère. Sachant que son père était à l’origine de cette « infamie », elle lui en voudra à vie.
Ne pouvant pas contenir sa colère, elle s’adresse à lui en ces phrases : « Tu n’es plus mon père ; Je t’ai fait confiance et tu m’as trahie. Je te hais! Tu n’aurais jamais fait ça à l’un de tes fils, je le sais et je te hais encore plus pour ça ! » (MOKEDDEM, 1990 : 143).
Du rapprochement fait entre les deux parcours, celui de l’héroïne et celui de l’écrivaine, il en résulte que cette exaspération, ressentie aussi dans la réalité par la romancière, devient, désormais, un trait de caractère et un signe distinctif du père:
« Je me disais toujours, il est injuste. Pourquoi donc préférait-il les garçons ? Et cette colère que j’ai éprouvée est le premier signe de mon tempérament, de ce refus de l’injustice. A ce moment-là, c’était juste cette sensation qui était ancrée en moi. » (Younsi, 2006).
En conséquence, elle va vivre une situation de déstabilisation qui sera à l’origine d’un état de guerre constant avec son père parce que représentant de traditions rigides, difficilement assimilables.
b - Désaffection de la mère
La mère, non plus, ne jouit d’aucune brillance chez sa fille. Elle ne sort pas du commun et donc, ne représente pas le modèle tant désiré par la fille pour plusieurs raisons :
« La mère de mes fils »: c’est ainsi qu’est nommée, la mère, par le père, étant donné que depuis la naissance de la deuxième fille, elle n’a eu que des garçons. C’est la juste distance dans la relation qu’il peut avoir vis-à-vis de sa
Une mère devenue anonyme, sans nom, mais dont le ventre boursoufflé reste sa référence, prenait, celles qui n’avaient pas eu de descendance masculine, pour de « pauvres femmes à filles», et les considérait avec arrogance.
En effet, dans une société, d’apparence patriarcale, le dernier mot revient à la femme en tant que mère : «être femme, c’est posséder un fils », confirme Camille Lacoste Dujardin. (Lacoste Dujardin, 1985 : 267)
Espace de l’enfance où la petite fille, dans le premier roman, est censée être entourée d’affection et de tendresse de la part des parents et particulièrement de la mère, elle ne recevait de cette dernière, qu’ordres et remontrances: «Prépare le biberon du petit! La soupe de l’autre! Prends ton frère, ne le laisse pas pleurer comme ça! Torche celui-ci! Va étendre le linge !... » (MOKEDDEM, 1990 : 115).
Pour s’affranchir de ce travail à la chaîne qui accaparait totalement la mère, et par la suite la fille, Leila se défendait en brandissant le livre contre « la donneuse d’ordres » (MOKEDDEM,1990 : 115) en se créant un espace intime.
De ce fait, Leila refuse d’être le prolongement de sa mère en réduisant sa vie à une kyrielle de tâches ménagères auxquelles sa mère est assujettie.
Un espace supposé être celui où l’enfant, en général, est appelé à faire son plein d’assurances, la petite fille, au bord de « la nausée » de tellement de frères et de sœurs5, et certaine de ne plus pouvoir récupérer le giron de sa mère, toujours rempli par un gros ventre ou occupé par un dernier-né, s’engage à faire la promesse de ne jamais ressembler à sa mère dont la vie se résume dans le passage suivant :
« Non, jamais elle ne se laisserait atteindre par l’épidémie de la boursouflure qui s’emparait des ventres. Jamais elle ne se plierait aux ménagères qui enfermaient les filles au sortir de l’enfance pour ne les lâcher qu’au seuil de la mort » (MOKEDDEM,1990 : 191).
En réaction contre le comportement de ses parents, la petite fille adopte une sorte de « loi du Talion » vis-à-vis d’eux, à la suite de l’offense subie. Cette attitude à caractère défensif, est marquée, surtout par la parole acerbe.
D’ailleurs, les phrases suivantes montrent bien l’anomalie des rapports qu’elle entretient avec ses parents après leur avoir déclaré la guerre: « […]. Vers qui se tourner quand les parents deviennent, sinon les premiers ennemis, du moins ceux qui peuvent, à bon droit, mettre en péril l’avenir d’une fille ? » (MOKEDDEM, 1990 : 269).
Une dépréciation des parents, est née suite à cette altération des relations entre la fille et ses parents. Le nouveau regard porté sur eux lui a permis de nourrir son égo et de maintenir son équilibre mental.
Nous constatons, donc, que, la cause inaugurale qui a sonné comme un déclic, de cette quête de l’identité est la blessure laissée par le père. C’est à partir de ce moment que la narratrice, après avoir pris conscience de la scission de la société provoquant deux compartiments, celui des hommes par opposition à celui des femmes, s’est mise à effectuer un parcours où le « je », occulté dans la collectivité essaye de faire progressivement surface, passant de la communauté traditionnelle, où les hommes jouissaient de tous les droits et où la femme n’avait aucun droit, parfois même pas celui de vivre, à la réédification d’une individualité.
Edification d’un espace subjectif : « Je » / « les autres »
Face aux injustices innombrables générées par les lois familiales et sociales, mises en vigueur dans un espace d’origine, auquel elle est censée appartenir mais qui en vérité la prive du droit le plus élémentaire, l’héroïne de Malika MOKEDDEM sera forcée de mettre en œuvre plusieurs scénarios6, pour tenter de s’affirmer et de marquer sa singularité par rapport aux autres membres de la communauté, aussi bien à l’échelle familiale que sociale, tels que la protection contre les ordres de la mère, par la lecture, l’aiguisement du caractère odieux, l’abstention à la parole et des privations de nourriture et de sommeil…
Ces moyens astucieux, considérés comme peu scrupuleux par l’entourage de la petite fille, sont des palliatifs qui vont lui permettre de se tirer, temporairement, d’une situation suffocante. Compte tenu des menaces qui pèsent sur les femmes de son entourage, l’installation de ce dispositif de protection lui a permis de créer un espace de liberté, de refuge, et enfin, de fuite.
C’est alors qu’une re-naissance d’un « JE » autre, qui selon les membres de cette société archaïque s’est imposé, à leur détriment, va se faire mais, qui ne va pas s’accomplir sans peine pour la narratrice. Bien au contraire, cette entreprise sera disséminée d’imprévus où la contribution de l’élément féminin constitue un point d’appui considérable.
Cependant, à l’intérieur de la communauté de femmes, une seule catégorie avait jouit de la faveur de l’héroïne. Seules ces élues dont, principalement, les traits de caractère les font se rassembler dans un groupe, peuvent prétendre à l’affranchissement d’une dépendance et par conséquent à un devenir.
Sur le chemin de la quête de l’émergence d’un « JE » exceptionnel et singulier de la protagoniste, donnant naissance à sa nouvelle réinsertion sociale, par le savoir et la connaissance, tous les adjuvants qui ont contribué à la réussite de cette entreprise sont des personnages-féminins : femmes emblématiques, chacune à sa manière, vivant en marge de la société, pour la plupart.
Bien qu’elles soient issues de milieux différents mais elles possèdent, toutes, en commun, un tempérament exceptionnel et un esprit libre.
Quant à l’élément masculin, la narratrice ne prend pas position contre tous les hommes. Au contraire, elle rend hommage à ceux qui lui ont portée aide et soutien moral mais reste sans égards à l’encontre de ceux qui ont été à l’origine de sa douleur.
La quête d’une identité plurielle
La question qui se pose est de savoir si les personnages privilégiés de Malika MOKEDDEM, adhèrent à cette nouvelle conception de l’identité que nous avons appelée: identité plurielle ou se proclament- ils de telle ou telle origine ? Il ya t-il une partie de leur identité qui prend le pas sur les autres?
Par un léger retour en arrière dans la vie des personnages de premier rang, et qui représentent la narratrice, nous avons constaté qu’ils ont, tous, vécu, à leur insu, cette diversité de cultures, déjà à l’aube de leur vie, soit, par la bénédiction des parents, soit à l’école ou par le biais d’autres éléments extérieurs.
L’adhésion involontaire du personnage à des cultures
C’est par le contact quotidien que, insciemment, l’adhésion de l’héroïne de Malika MOKEDDEM à une culture, différente de la sienne, s’est faite.
En effet, petite fille déjà, elle était en contact quotidien avec cette diversité de cultures qui ne pouvait qu’enrichir, sa personnalité et, par conséquent, la préparer à être différente tout en acceptant l’autre dans sa diversité.
Plusieurs phénomènes ont favorisé, donc, l’adoption de la protagoniste d’une autre culture, d’autres cultures et convergent vers d’autres perspectives, plus grandes.
La romancière a, ainsi fait franchir, à son personnage-féminin, par une moisson d’humanité, les barrières de l’enferment ethnique et national pour aller vers une culture mondiale.
Par cette disposition d’ouverture à l’universel, elle lui a fait agréer d’autres données culturelles. Située, ainsi, au carrefour des cultures, il était évident pour le personnage-féminin qu’il en soit fortement imprégné.
Enfin, le soutien opiniâtre que la romancière porte à la femme, sous forme de dénonciation de faits répréhensibles qui lui sont infligés par la famille, la société avec ses traditions et ses coutumes, atteste de sa participation à cette manifestation à l’échelle mondiale dont l’objectif est l’amélioration de la condition sociale de toutes les femmes.
Nous le voyons, au niveau de l’action, par l’écriture, que livre l’écrivaine dans toute son œuvre, contre les préjugés, les tabous qui maintiennent les femmes dans un état de privation de liberté et d’accomplissement de soi.
D’autres prises de position viennent s’ajouter à celle de son intervention en faveur des femmes.
Effectivement, la romancière affiche clairement, par le biais de certains de ses personnages sa solidarité avec les minorités opprimées dans le monde par le jugement critique qu’elle porte sur les hommes et sur les choses et le recul par rapport aux événements. Elle dira, ouvertement, dans son troisième roman, «L’interdite»: « Je n’ai jamais eu d’affection que pour les bâtards, les paumés, les tourmentés et les juifs errants comme moi. Et ceux-ci n’ont jamais eu pour patrie qu’un rêve introuvable ou tôt perdu » (MOKEDDEM, 1997 : 82).
En tant que femme de savoir, elle cherche à promouvoir les valeurs qui font de l'Homme un être à part, unique, ayant plein droit de vivre sans être mis sous séquestre de la couleur de sa peau, ni de sa religion et encore moins de son sexe.
Vivant pleinement et harmonieusement les composantes de son identité, l’héroïne de Malika MOKEDDEM glane dans chacune d’entre elles ses commodités, sans pour autant se sentir envahie par un sentiment de désarroi et d'impuissance face aux mauvais traitements infligés à l’homme, de part le monde.
Notes
1. Malika MOKEDDEM, romancière algérienne d'expression française, appartient à la nouvelle génération. Née le 05 octobre 1949 à Kénadsa , dans le sud algérien. Son cursus scolaire débute à Bechar où elle obtient son baccalauréat et se termine par une spécialité de néphrologue. Sa vie au sein de sa propre famille sera marquée par des malentendus. Le fait d'être une fille la diminue aux yeux de ses parents qui auraient préféré avoir un garçon à sa place. Ce sentiment va la marquer toute sa vie. A cela s'ajoutent, l'enfermement, la solitude, la privation de la liberté causés par le fait d'habiter le désert.
2. Au delà de l’apparente simplicité de la première quête qui provoque la dynamique du récit, les personnages poursuivent une quête d’ordre intérieur: le savoir et la connaissance qui doivent mener inévitablement à la libération.
3. La scientificité de la recherche nous oblige à rester dans les limites de la recherche scientifique qui préconise l’exclusion des éléments biographiques de l’auteure même si la vie de celle-ci est en parfaite adéquation avec celle de ses personnages.
4. Par la technique d’une mise en abîme, la narratrice nous raconte les circonstances qui ont entourées sa naissance, mais elle met cet événement en scène pour faire apparaitre certains éléments à valeur symbolique tels que sa venue au monde de nuit, d’où son prénom «Leila » qui signifie « nuit ».
5. A ce propos la narratrice nous dit: «Cadenas et autres gris-gris n’avaient pas empêcher Yamina ( la mère de Leila) d’avoir douze grossesses et treize enfants.
6. Parmi ces scénarios inventés, le simulacre de la folie est aussi une ingéniosité qui témoigne d’une habileté de son esprit qui va s’ajouter aux autres planifications, menées avec dextérité, afin de parvenir à un objectif fixé à l’avance. La petite fille jubilait discrètement à «cultiver cette folie-là. » nous dit la narratrice (MOKEDDEM, 1990 : 141).
Bibliographie
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